Les projets lancés ces deux dernières années ne sont pas tous aux normes, ce qui pourrait avoir des conséquences problématiques à moyen et long terme.
Face à la crise énergétique qui s'est juxtaposée à celle du système économique et financier libanais, de nombreux ménages et entrepreneurs vivant au Liban se précipitent pour installer des panneaux solaires pour s'alimenter alors qu'Électricité du Liban et les générateurs privés rationnent leur production.
Pierre Khoury, président du Centre libanais pour la conservation de l'énergie (LCEC), rapporte qu'entre 2021 et fin 2022, 350 millions de dollars seront investis ou sont en passe de l'être dans le secteur privé, pour 250 mégawatts-crête ( c'est-à-dire la puissance maximale) installée au cours des deux dernières années, en plus des 100 mégawatts déjà installés. Les installations vont des petites installations résidentielles de secours aux plus grandes structures pour l'industrie, l'agriculture et même les centres commerciaux.
Cette frénésie libanaise pour l'énergie verte coïncide avec l'extrême aggravation des problèmes d'approvisionnement en carburant de l'EDL au cours des deux dernières années, et avec la suppression de la subvention sur le fioul utilisé par les propriétaires de générateurs, amorcée il y a plus d'un an dans un contexte de dépréciation de la livre sterling. ce qui a fait monter les prix en flèche.
L'avantage du coût
Mercredi, lors d'une conférence organisée à Beyrouth dans le cadre du salon Middle East Clean Energy, le ministre de l'Energie et de l'Eau, Walid Fayad, a souligné que les Libanais paient actuellement 55 centimes par dollar le kilowattheure pour les générateurs utilisant le Tarifs du ministère. Cela se compare à 22 centimes d’euro en Europe en 2021, selon Eurostat (et devrait augmenter en 2022 en raison des répercussions du conflit russo-ukrainien sur l’approvisionnement en gaz des pays de l’UE). Les tarifs publics de l'électricité, quant à eux, sont gelés depuis 1994 sur la base d'un loyer d'environ 23 dollars (contre environ 90 dollars actuellement).
Dans ce contexte, l’argument du coût joue en faveur des énergies renouvelables en général, et du solaire en particulier. « Le coût de production déterminé pour les projets de parcs photovoltaïques lancés sous l'égide du gouvernement est de 5,7 centimes par parcWh. Mais il est difficile de généraliser ce chiffre car, en pratique, le coût d'une installation individuelle varie en fonction de plusieurs facteurs ( ensoleillement, rendement, dépréciation de la batterie, etc.) et est donc plus élevé", explique Pierre Khoury. Le rendement réel d'un panneau dépend également de son emplacement, des conditions météorologiques locales et de l'inclinaison du module, qui de toute façon ne produira pas d'électricité en l'absence de soleil. Mais malgré ces variables, le coût de l’énergie solaire sera toujours inférieur (6 centimes le kWh sans batteries, entre 25 et 30 en incluant le coût du stockage).
Le fait que les déboires de l'EDL, combinés à la hausse des tarifs des générateurs, aient encouragé le déploiement de systèmes photovoltaïques au Liban semble, à première vue, être une bonne nouvelle. Mais la réalité sur le terrain est bien plus contrastée, estime Philippe el-Khoury (aucun lien avec le président du LCEC). "Le pays passe à côté d'une occasion en or de construire un écosystème viable basé sur les énergies renouvelables, et la réaction risque d'être violente", déclare, découragé, le cofondateur de ME Green, une entreprise libanaise fondée bien avant la crise et spécialisée dans l'installation de panneaux photovoltaïques, présent au Liban ainsi que sur certains marchés européens et africains.
Les risques d’une mauvaise exécution
Il dénonce le fait qu'une grande partie des projets lancés au cours des deux dernières années aient été réalisés à la hâte par des entreprises avides et manquant des qualifications nécessaires. "Il y a beaucoup de mauvais investissements, tant au niveau du matériel choisi que de la manière dont il a été installé", résume Philippe el-Khoury. Ces manquements exposent les acheteurs à des risques d'incendie, comme dans le cas d'un incendie à Bchémoun, dans le caza d'Aley, qui a fait le tour des réseaux sociaux en juillet dernier.
"Un incendie peut être provoqué par des dispositifs de protection mal installés, tels que des fusibles ou des parafoudres, ou par un panneau photovoltaïque non mis à la terre, ou encore par une mauvaise section de câble reliant le panneau à l'onduleur solaire (dispositif également appelé un régulateur solaire, un chargeur ou un convertisseur, dont le rôle est d'adapter le courant produit pour qu'il puisse être utilisé)", explique le spécialiste.
Le risque d'incendie n'est pas le seul et les techniciens doivent prendre en compte d'autres paramètres essentiels, comme la charge de l'installation sur la structure qui l'abrite et la solidité des fixations sur les modules. En mai dernier, plusieurs panneaux mal fixés ont été arrachés par des vents violents dans un quartier de Beyrouth. "La proportion d'incidents de ce type n'est pas marginale et est susceptible d'augmenter avec le temps", estime Philippe el-Khoury.
Enfin, des erreurs de dimensionnement des installations (ie inadéquation des batteries par rapport aux besoins identifiés) ainsi que des erreurs de paramétrage peuvent accélérer l'usure des différents composants qui les composent. "Avec de mauvais paramètres, une batterie peut être jetée au bout de six mois, alors que sa durée de vie moyenne est bien plus longue", ajoute l'expert.
A titre indicatif, les panneaux solaires durent entre 25 et 30 ans, les batteries entre 3 et 10 ans, selon qu'elles sont au plomb (moins durables) ou au lithium, tandis que les onduleurs de bonne qualité sont généralement garantis 10 ans, mais peuvent fonctionnent pendant 15 ans (de nombreux onduleurs importés au Liban ont une durée de vie comprise entre 3 et 10 ans). Outre les pertes financières, l'usure prématurée pose également un problème environnemental, étant donné qu'il n'existe pas dans le pays de véritable filière spécialisée dans la récupération ou le recyclage de ce type de composants.
Normes non appliquées
Selon Pierre el-Khoury, la majorité des acteurs appliquent les normes libanaises dans ce domaine et les équipements vendus sur le marché sont testés selon des procédures pilotées par l'Institut de recherche industrielle (IRI), rattaché au ministère de l'Industrie. Le Liban peut également se targuer d'un processus de réglementation et de certification bien développé, comme le défend Lena Dargham, directrice générale de l'Institut libanais de normalisation (Libnor), qui était également l'une des conférencières invitées à un panel sur ce sujet au Salon professionnel la semaine dernière. .
« Plusieurs plans d'actions pour développer les énergies renouvelables ont été lancés sous l'égide de l'État depuis 2010, le dernier objectif en date étant fixé à 30 % de la consommation d'ici 2030, assurée par les différentes sources disponibles. Des normes ont été fixées pour le solaire, l'éolien. et hydroélectriques, la performance énergétique des équipements électrotechniques et des bâtiments « verts », le tout accessible et conforme aux normes internationales", résume-t-elle. Avant d'ajouter : « Il y a des points faibles dans le système qui doivent être renforcés, car même si certaines de ces normes sont obligatoires, le problème est leur mise en œuvre sur le terrain.
L'un des principaux obstacles est lié au fait que les entreprises qui décident de se lancer dans l'installation de panneaux photovoltaïques n'ont pas besoin d'obtenir une autorisation spécifique, à l'exception des prêts bonifiés par la Banque de l'Habitat, pour lesquels une quarantaine d'entreprises ont été agréées. . "En dehors de ces cas, n'importe quel commerçant peut importer du matériel et s'improviser ingénieur spécialisé dans les énergies renouvelables, sans même s'associer à un ingénieur, ni même à un technicien", souligne le directeur de Libnor. Une façon de remédier à cette situation sans nécessairement faire appel aux forces de sécurité pourrait être de faire appel à des acteurs privés spécialisés dans la certification et les inspections. "Le LCEC et l'IRI ont également lancé des formations pour les techniciens. C'est un bon début vers une solution et il faut intensifier nos efforts dans ces domaines", ajoute Léna Dargham.
Il souligne enfin que la boulimie libanaise pour les installations photovoltaïques individuelles mobilise des ressources qui auraient pu être utilisées pour financer des projets de plus grande envergure visant à renforcer les capacités du fournisseur public. L’application d’une stratégie globale combinant efficacement les différentes sources d’énergie renouvelable, le déploiement d’un Smart Grid capable d’optimiser la production et la distribution de carburant en temps réel, et l’anticipation de la problématique du recyclage des équipements déployés ces dernières années.